Une lumière audacieuse filtre à travers les persiennes pourtant closes de votre intérieur et vient gentiment chatouiller vos paupières. Un phénomène inhabituel qui n’est pas pour vous déplaire. L’aube est passée depuis quelques heures déjà et vos sens s’éveillent. Le doux tumulte d’une journée de fin d’hiver se fait entendre à travers les murs épais d’une bâtisse 1er empire, des oiseaux gazouillent çà et là dans le lointain pourtant si proche, à quelques enjambées d’un des précieux refuges de l’âme que symbolise le jardin ; ce cocon, reflet de votre être, synonyme d’un temps retrouvé où son flot s’arrête pour vous offrir des secondes d’éternité.
Les derniers frimas de cette saison aux teintes brunes et bleutées du soleil vous incitent cependant à garder l’appréciation de cet extérieur pour un temps que vous savez proche. Ce matin ce sera « côté cour » que vous apprécierez l’entame de cette fin de semaine, dans le demi-silence d’un petit salon. Les craquements d’un escalier en chêne, quelques gargouillis de vieux tuyaux et les jappements d’un setter irlandais en mal d’amour seront vos seuls tracas sonores.
Pas pour longtemps.
Du dynamisme. Ce sera le symbole de cette matinée propice à une complexité pourtant simple, celle de la joie de vivre. Celle d’être en vie, d’apprécier chaque instant qui passe et parfaitement à votre place.
Escorté par un jazz rythmé, entrainé par les notes légères et pourtant pleines de punch d’un saxophone conduit par Maceo Parker accompagnées par de similaires tonalités aromatiques. Aujourd’hui un Gu Shu Cha, un jeune pu’erh constitué de feuilles de vieux arbres.
On, les charbons de coco craquent dans le nilu.
On, l’eau se met tout doucement à chanter dans la grande bouilloire.
On, le son mat d’un lourd ampli en manque de matière sonore se fait entendre.
On, le craquement du diamant sur la surface de vinyle.
Off. Le chien s’est tût, les canalisations également et l’escalier ne gémit plus. Du moins à ce qu’il vous semble.
Comme par enchantement, comme des gestes automatisés par des années de pratique, tout se met en branle, soudainement. Fluide.
Le morceau de Pu’Erh, les premières notes d’un saxophone alto, l’eau bouillante, l’infusion, le son de la verse dans le gong dao bei. Il aura fallu quelques secondes, pas plus. Retour au calme, l’infusion est bien trop chaude. Alors vous appréciez.
Tout d’abord la nature de ce thé particulier et particulièrement jeune, 2016, élaboré par Mme Oyang dans la vallée de Nanmei, dans la province de Lincang, à partir de vieux arbres. C’est une immense chance de connaitre ces détails, très rarement transmis. Ils participent ainsi au respect. Du produit et du producteur. Ainsi du consommateur. Donc du tout.
L’eau est arrivée à température et les premiers accords batterie, basse et saxophones débutent.
La première infusion est légère, fluide. Elle ne manque pourtant pas de personnalité. En effet son attaque miellée-vanillée se prolonge par une longue finale fraiche, soutenue par une amertume à peine perceptible. Ces impressions se mêlent au groove de la caisse claire, appuyé par les fines tonalités d’un cuivre solo.
Deuxième service, l’ambiance évolue, s’amplifie. Les attaques du saxophone se font plus pêchues. Ainsi le thé. Des arômes semblables à une caresse de bois vert, soulevée par des impressions mentholées et de réglisse qui apportent une fraicheur tellement agréable constituent la trame de ce deuxième épisode. Où une vive astringence crée l’entame. L’infusion est beaucoup plus volumineuse que la précédente. Elle vient heureusement et rapidement s’arrondir pour créer une impression de douceur brute. Un oxymore, comme ce morceau qui allie la suavité d’un saxo solo au punch des notes d’un second. Cette douceur reste très, très, longtemps présente. Puis disparait. Puis revient. Comme les rappels du soliste qui s’en donne à cœur joie mais toujours dans la mesure.