Un thé, un cigare, un accord... parfait ?

Un thé, un cigare, un accord... parfait ?

Pâques est une célébration, un moment où l’on se retrouve. En famille, entre amis. En grande tablée, souvent. Autour, souvent, d’un agneau dont les recettes et méthodes de cuisson sont aussi variées qu’il existe de cultures et sous-cultures gastronomiques, où chacun peut apporter sa touche. Ces heures uniques sont ainsi soulignées par la manière héritée de la grand-mère, auquel on aura ajouté le « truc » légué par la voisine ou, au temps d’internet, glané sur un forum culinaire.

 

Temps propice au partage et aux retrouvailles, où le temps suspend son vol et s’allonge, vous décidez de réaliser un accord de temporalité, cuisant la viande lentement. Une dizaine d’heures à basse température, pour ne pas brûler les chairs et en faire ressortir tous les sucs. Un agneau « à la cuillère », fondant et juteux. En fin de cuisson des fruits viennent s’ajouter dans la cocotte. Ici des mangues « Osteen » en provenance du Nicaragua, douces avec des pointes d’acidité, pour un accord acidulé d’une gourmandise extrême. Qui aujourd’hui n’est pas un pêché car après tout c’est la fin du carême…

 

Les cloches ont sonné tout leur soul et gâté petits et grands. Pour certains ce sera des œufs, d’autre des lapins. Pour vous, amateur de finesse et de complexité, une part d’un surprenant Carré de Pâques, créé par l’artiste-artisan Gilles Cresno.

 

Les dernières gouttes d’exceptionnelles bulles de « la colline enchantée » d’Emmanuel Lassaigne termineront ce repas où le mot « lien » a été plus qu’un pointillé, où une véritable connexion s’est établie dans la joie du partage.

 

Pour certains les conversations continueront autour d’une partie de pétanque, pour d’autres devant un album de voyage. Pour vous la discussion se prolongera devant un tout autre album, qui n’en est pas moins un voyage à lui seul.

Vos pas vous mènent de manière très assurée vers une cave. Plutôt qu’une cave c’est en fait vers deux que vous enjoignez vos amis de vous suivre. La première renferme des robusto, corona ou panetela. La deuxième des sheng et des shu.

 

« Serait-ce un nouvel exemple de food fusion ? » vous demande-t-on. C’est pas tombé loin. Ce que vous proposez aujourd’hui les emmènera en Amérique Centrale et en Extrême-Orient, au pays de feuilles fermentées. Votre cave à Pu’erh s’ouvre pour leur laisser dévorer des yeux bing cha, tuo cha, jin cha. Des odeurs de fruits murs, de sous-bois et d’humus s’échappent, offrant ainsi un aperçu du moment magique que vous allez vivre.

 

Le repas fut tout en complexité, en saveurs câlines et néanmoins puissantes. Un équilibre que vous ne souhaitez pas rompre. Ainsi ce sera une galette d’un sheng 2002 du Xishuangbanna, un 8582 à affinage de type Hongkongais.

Pour l’accompagner la deuxième cave inonde vos narines d’odeurs de tabac et d’épices, de cacao et de miel. Pour s’accorder à votre galette un Nicarao Anno VI produit à Jalapa au Nicaragua fera parfaitement l’affaire.

 

Des visages perplexes, des regards brillants de curiosité, un étonnement général. Voilà ce que vous venez de déclencher.

Confortablement assis dans des LC2 « tabacco », disposés autour d’un coffre fin XIX originaire du Shaanxi, la dégustation peut commencer. Mais avec quelles feuilles ? Celles du théier ou du tabac ? Honneur aux plus petites et aux plus fermentées, ce sera le thé. Alea jacta est.

 

Une palette allant du kaki au marron en passant par le beige et le brun, voilà ce qu’un affinage bien contrôlé de seize ans a su produire. Le cigare, affiné quant à lui entre un an et demi à quatre ans suivant les feuilles, joue dans les mêmes teintes, un peu plus sombres cependant. Point de beige ici mais des reflets marrons à brun. La structure et le toucher se répondent également. Roulé ou pressé, à chacun son terme. Une certaine souplesse pour nos deux compères, dû à un roulage et une conservation relativement humide dans un cas, à une presse plutôt légère et un stockage parfaitement contrôlé dans l’autre.

Un rinçage suivi d’une première infusion d’une dizaine de secondes laisse apparaitre des puissantes et agréables odeurs de champignons, d’humus et de cave propre avec une touche de résine de pin qui apporte une belle fraicheur. Les premières gorgées font montre d’une ample douceur et d’un beau volume, associée à une complexité aromatique faite de sous-bois après la pluie, fèves de cacao peu torréfiées et de camphre en fin de bouche. Les terpènes nous offrent ici une finale légère, contrastant avec la présence de l’humus.

 

A la deuxième infusion les composés responsables des odeurs de champignons s’en vont par la pointe des pieds, ce qui permet au boisé et à la résine de ressortir. Ainsi en va-t-il de la dégustation, où une présence de pont en teck mouillé apparait nettement et s’associe à des arômes de café vert. Le menthol pointe alors le bout de son nez et s’associe harmonieusement à cette belle impression camphrée, très proche sur le plan chimique.

La texture quant à elle reste la même qu’à la première infusion : soyeuse, presque légère malgré une présence de tannins qui ne demandent qu’à se réveiller. Timides avec une infusion courte ils apportent néanmoins une longueur en bouche satisfaisante.

La décision d’allumer les feuilles de tabac ne tient qu’à un fil et sera reportée à la quatrième infusion. Place à la troisième, où la fraicheur s’installe. Une fraicheur étonnante sur un thé presque majeur, ce qui provoque chez vous et vos convives une curiosité accrue. Si l’humus est toujours présent, de l’écorce de pin recouverte de cette fameuse résine apportant de la légèreté fait son apparition. Un thé dont la présence s’affirme progressivement, qui gagne en force.

 

Il est alors temps d’entamer ce fringant Nicarao Anno VI, en version robusto. Il laisse flotter des arômes de chocolat et d’épices. Si son origine vous rappelle la mangue qui accompagnait l’épaule d’agneau du déjeuner ses odeurs vous ramènent au dessert cacaoté dont vous vous êtes régalés il y a peu.

Il fait preuve d’une grande douceur, sans timidité. Les premières notes évoquent le fameux « Caraïbe » de Valrhona, où se mêlent rondeur, fruits à coque toastés et une finale boisé. Tout au long de ce moment, qui durera presque une heure, les arômes resteront constants. Ils gagneront progressivement en force. Un cuir souple viendra s’y ajouter.

Au fur et à mesure du temps qui passe le cigare gagne en structure. Ainsi le thé. De plus en plus affirmés ils n’entrent pas en compétition mais en symbiose. Si une amertume contenue gagne nos deux amis elle n’en est jamais gênante. Le Pu’erh apporte un tapis de mousse et des notes sucrées en toute fin de bouche, calmant ainsi les ardeurs d’un tabac qui, sans jamais lâcher la bride, ne demande que ça. Il en va donc de votre capacité à le ressentir. A ne pas tirer trop fort ni trop longtemps. Comme il vous en revient de ne pas infuser trop longuement ce très agréable sheng, qui laisserait dès lors exprimer sa fougue adolescente par une énergique amertume.

 

Et finalement pourquoi pas ? Ce thé est complexe. Il contient un mélange de force et de douceur, de puissance et de légèreté. De la fraicheur et de la rondeur, qu’il ne tient qu’à vous de laisser s’exprimer selon votre humeur, votre envie et votre accord. Ce 8582 se laisse aisément apprivoiser, sait montrer les crocs et câliner son (heureux) dégustateur.

Se faire confiance et s’écouter, là réside la clé d’un grand moment. Qui l’est d’autant plus lorsqu’il est partagé. Avec un cigare et des amis. La messe est dite.

 

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